En septembre, j’ai repris des études à l’Université de Lausanne pour y effectuer un Master en Humanités numériques. Je continue cependant à coacher les personnes qui s’adressent à moi dans la mesure du possible.
Ce n’est pas facile de me retrouver dans un milieu universitaire où je suis (presque) la plus âgée. J’ai 56 ans et suis même plus âgée que les enseignant.e.s qui donnent les cours. Parfois cela me fait rire! En effet, l’autorité qu’ils.elles exercent sur les étudiant.e.s (qui ont toutes et tous entre 19 et 25 ans) de par leur âge et expérience ne me concerne plus vraiment et je peux me permettre certaines choses que les autres étudiant.e.s ne peuvent pas. Et soudain, je prends conscience de la richesse de mon parcours personnel et professionnel ainsi que de mon expérience de vie, expérience que les autres n’ont pas puisqu’ils.elles n’ont pas encore vécu, ou relativement peu.
Mais ce n’est pas de cela dont je veux vous parler. Je veux partager quelque chose de très profond avec vous, quelque chose de personnel : c’est ma manière de personne à haut potentiel d’apercevoir des choses et des signes infimes et ma manière de les interpréter. Vous êtes peut-être tout comme moi très vulnérable dans votre hypersensibilité. Je capte tout – le moindre changement dans le ton de voix, le haussement d’un sourcil, l’esquisse d’un sourire, l’énergie dégagée qui change, l’hésitation dans le mouvement. Et je l’interprète, bien entendu, comme je le peux et parfois de manière très erronée. Et pourtant, j’ai une très bonne formation de coach dont je me sers non pas seulement de manière professionnelle mais également pour me coacher moi-même dans mon quotidien. Et cette formation me permet de prendre de la distance et de me questionner moi-même dans tout genre de situation.
Je vous explique la situation : étant malentendante, je m’assieds toujours au premier rang, tout près des enseignant.e.s, et souvent, je suis la seule à m’y retrouver, les autres étudiant.e.s se tassant à l’arrière de la salle. L’autre jour, toutes les places étaient prises SAUF celle à côté de moi. Un jeune homme, beau garçon, cheveux blonds et yeux bleus, bref un type qui fait tomber toutes les nanas, vient s’asseoir en me demandant si c’est libre. Nous échangeons un peu, je lui demande son nom et s’il est en Sciences sociales, ce qui est le cas. Je lui raconte que c’est mon 2e Master et que je continue à travailler en tant que coach à côté. Avec un petit sourire qui m’a paru narquois, il me demande « Tu es coach de vie? ». Cette question et la réaction apparente de condescendance qui l’accompagne, je l’ai souvent entendue et vue, même de la part de coachs qui travaillent en entreprise et avec des managers. Oui, il y a une hiérarchie dans le milieu des coachs – le coach en entreprise, c’est le top parce que c’est du sérieux et que ces coachs gagnent beaucoup d’argent, tandis que coach de vie, c’est du blabla et rien de sérieux. C’est de la mièvrerie féminine, en tout cas c’est ce genre d’attitude par rapport à mon activité professionnelle que j’ai rencontrée depuis que je travaille en tant que coach.
Bref, ce jeune homme m’a donc posé cette question, et j’ai vu ce que j’ai cru être de l’amusement ou de la condescendance. Cela m’a blessée, mais étant prête à recevoir ce genre de commentaire depuis un certain temps déjà, j’ai rétorqué « Je suis coach holistique et peux coacher dans n’importe quel domaine ». Le jeune homme a détourné le regard en disant « Ah, il existe une telle formation ici? » et je lui ai dit que oui, à Lausanne-même. En plus, j’ai rajouté que je me suis spécialisée dans l’accompagnement des personnes à haut potentiel.
Je me suis sentie mal à l’aise dans cette situation, et après-coup, je me suis posée la question – pour quelle raison est-ce que je me suis sentie blessée? Premièrement, je pense que par expérience, je m’attends déjà à ce que mes interlocuteurs me rabaissent en me demandant si je suis ‘coach de vie’. Ensuite, tous ces petits signes – petit sourire narquois au coin des lèvres, regard amusé, ton de voix légèrement ironique par exemple – je les perçois et me mets immédiatement à les interpréter sans les valider avec mon interlocuteur. Puis finalement, ma confiance en moi est parfois ébranlée lorsque je suis en face d’une personne que je ne connais pas et qui me donne l’impression qu’elle me juge. Dans de telles situations, je perds parfois tous mes moyens, peut-être parce que c’est important pour moi de montrer du respect pour l’autre en toute circonstance et que je suis ébahie de voir que pour l’autre, ce n’est pas réciproque. Je me liquéfie donc totalement et me sens m’étaler sur le sol comme une grande flaque d’eau. Parfois j’arrive à me rattraper, parfois pas.
La question que je me pose est donc la suivante : l’interprétation que j’ai fait de ma conversation avec ce jeune homme, correspond-elle à la réalité ou non? Etait-il vraiment méprisant par rapport à mon métier ou est-ce que je l’ai seulement perçu en tant que tel? Est-ce que cette personne n’était pas tout simplement surprise de mon naturel et un peu gênée devant mes cheveux gris ? Ou peut-être que ce jeune homme vient d’une famille aisée et répète comme un perroquet ce qu’il a peut-être entendu de ses parents, comme quoi il y a certains métiers sots qui ne méritent pas le respect? Peut-être qu’il s’agit d’une insécurité toute simple, en effet. Je ne me vois pas et je ne sais pas si je suis intimidante ou non aux yeux d’un jeune homme de 22 ans. Peut-être que c’est du mépris flagrant, tout simplement, basé sur des préjugés. Puis je me dis qu’il y a peut-être aussi des gens bêtes qui n’ont pas une grande capacité de réflexion et qui se laissent aller aux croyances habituelles, si généralisées dans notre société.
Quelle que soit la situation réelle, je n’en sais absolument rien. En effet, je n’ai pas validé cela avec la personne en question. J’aurais pu lui dire « Ah, je vois comme un petit sourire narquois sur ton visage, ça veut dire quoi? ». Ou éventuellement « Est-ce que tu as du mépris pour le métier de coach de vie? ». Mais je ne l’ai pas fait parce que je me suis sentie blessée. Et je n’ai pas fait moi-même ce qui ressort souvent des coachings que je fais avec mes client.e.s – que c’est important de valider mes impressions et mes conclusions en posant la question directement à l’autre personne, en toute franchise et sans agressivité.
Ceci m’interpelle parce que ça touche à mon sentiment d’être blessée. Blessée par le regard de l’autre que je juge comme dévalorisant? Blessée par le manque de respect que je m’attends de l’autre? Blessée pour quelle raison, en fait? Donc ce que je ressens est peut-être la conséquence de mon manque de confiance en moi, de mes peurs d’être confrontée à des personnes qui, selon moi, me manquent de respect. Je pousse le bouchon encore plus loin : j’essaie peut-être de me faire apprécier par tout le monde en me sur-adaptant constamment, dans le but de plaire et d’être aimée et appréciée? Et lorsque je rencontre une attitude que je peux interpréter comme dévalorisante ou jugeante, est-ce qu’au fond de moi, c’est mon amour propre qui est touché? Je trouve cela très intéressant malgré le fait que je n’ai pas encore de réponse. C’est quoi en moi qui a été touché et remué?
Et vous, validez-vous ce que vous croyez voir et apercevoir? Beaucoup de souffrance que nous vivons pourrait être évitée si nous validions ce que nous voyons et apercevons. Cela n’est pas facile puisque ce que nous voyons et vivons nous touche et remue parfois des blessures très profondes et peut-être même anciennes. Des blessures venant parfois de loin. En plus, nous sommes persuadé.e.s que nous y sommes pour rien, que c’est la faute à l’autre. Cela mène bien entendu à une souffrance, puisque nous ne pouvons pas changer l’autre et nous nous plaçons ainsi dans une position de victime plutôt que de reprendre le contrôle de la situation. C’est si facile de tomber dans la dé-responsabilisation en mettant la faute sur l’autre, n’est-ce pas? En se disant « je n’y suis pour rien, c’est la faute à l’autre! ».
Et pourtant, la validation nous éviterait de constamment nous retrouver dans l’incertitude totale : est-ce qu’il.elle était méprisant.e, peu sûr.e de lui.elle ou tout simplement bête? Valider auprès de l’autre nos impressions, nos interprétations et nos jugements n’est pas une mince affaire et exige du recul par rapport à soi-même. Cela exige aussi beaucoup de courage et de sincérité. Il s’agit de se regarder soi-même dans le miroir et de se poser la question « et moi, pour quelle raison est-ce que je réagis comme cela, en interprétant? ».
Valider n’est cependant pas une tâche impossible. Valider, c’est de donner l’occasion à l’autre de s’expliquer et peut-être même de s’excuser. Sans validation, ceci n’est pas possible et nous laisse dans une incertitude et une souffrance dévorante. Valider, c’est donc de nous sentir mieux, plus en paix avec nous-même et avec les autres qui nous entourent. Valider, c’est un peu le début de la connaissance profonde de nous-même, ne pensez-vous pas?